Bien sûr, je partage ton avis. Je sais ce que cette quête de la « pureté » a d’utopique, de condescendant (malgré tout) et de dangereux. Après, il faut rappeler le contexte, notamment colonial, de l’époque. On fait des expositions où les hommes sont exposés comme des bêtes, on pille les richesses des pays colonisés et dans les années 50, quand on représente un gamin noir, il s’appelle Bamboula. j’ai découvert la semaine dernière une photographie (des années 20 ?) sur laquelle figurent dix hommes alignés, avec sur le torse nu de chaque homme une lettre peinte : « B O N N E A N N É E ». Dans les années trente, ceux qui combattent le colonialisme, qui signent un trac contre l’exposition coloniale (critiquée par Prévert dans « tentative de description… ») ce sont les surréalistes, les ethnologues, etc.
Je suis d’accord malgré tout pour reconnaître qu’il y a du racisme dans leur vision du monde, cet idéal biblique (avant la tour de Babel) : voir par exemple l’Afrique Fantôme ; mais ils font néanmoins preuve d’une vraie curiosité vis à vis de la culture de l’autre, ce qui est un premier pas vers l’égalité, même s’ils s’y prennent parfois mal. Je m’étonne qu’à l’époque, hormis Desnos, personne ne s’est intéressé à Léon Gontran Damas, qui est un à mon avis un des plus grands poètes du 20ème siècle ( Pigments). Mais comme aujourd’hui, les artistes contemporains ne les intéressent pas (qui sont les artistes africains représentés à Beaubourg ?). Il y a donc bien une idéologie qu’on peut aujourd’hui juger critiquable, dans les avant-gardes de cette époque. Je suis consciente de toute l’utopie qui se cache derrière ces bonnes intentions, cet idéal retrouvé (les peuples dits primitifs, et qui ont pourtant leur histoire, sont supposés représenter l’homme avant la corruption; faut dire qu’il y a eu la guerre de 14, une boucherie, un Voyage au bout de la nuit… ). un idéal qu’on retrouve aussi bien chez les photographes (relire les textes de Brassaï concernant ses graffiti, ce n’est pas autre chose que le désir de retrouver l’art originel, il les compare aux dessins des grottes de L., lesquels dessins ont aussi inspiré Bataille) dans le théâtre (le théâtre et son double, d’Artaud, inspiré par un spectacle de théâtre de Bali, découvert je crois à l’expo coloniale, qui a quand même révolutionné – un temps – le théâtre occidental), chez les musiciens, les écrivains, les peintres, etc.
Evidemment, il faudrait regarder ces oeuvres rétrospectivement, mais j’essaie surtout ici de montrer dans quel contexte elles sont apparues (mais tu as raison, je ne l’ai pas souligné ici, j’essaie de pas faire trop long…). Aujourd’hui, quelqu’un qui me tiendrait un discours semblable (et c’est un discours qu’on entend souvent, il suffit de traîner au Quai Branly) je le trouverais insupportable et je l’enverrais promener – gentiment ;-) Mais à l’époque, la supériorité de l’homme « blanc » semblait tellement naturelle (voir texte de Leiris) que le simple fait de valoriser ces oeuvres dites primitives était un pas contre le colonialisme. C’était pareil du temps de Condorcet, quand il proposait, pour abolir l’esclavage, de passer par différentes étapes, dont certaines inhumaines (je crois qu’il était question, notamment, d’enlever les nouveaux-nés aux femmes nées esclaves). Evidemment, je ne crois pas du tout au désir de Prévert et Lotar de retrouver une oeuvre pure – je sais ce que ces oeuvres ne sont pas nées ex nihilo – ces statuettes étaient notamment inspirées de l’art grec, de l’art cycladique, des mythologies (satyres), etc. Mais je voulais montrer que ce désir s’inscrivait dans une pensée commune. Lotar avait un père qui était un poète très populaire en Roumanie, Prévert voulait parler au peuple, et c’est avant tout ce désir de toucher tout le monde qui me plait dans cet article.
Il faut aussi rappeler qu’on analyse tout désormais à partir de la Shoa. Avec évidemment l’idée de race aryenne, la race « pure ». DOnc on a parfois tendance à surinterpréter (même si je partage ton avis sur le caractère dangereux de la recherche d’un idéal primitif, où il faudrait revenir, un jardin d’Eden perdu à cause de cette pouf’ d’Eve). Dans Documents il y a un article de Bataille qui explique combien de savons on peut fabriquer avec le corps d’un homme. C’est écrit en 1929. Il n’aurait jamais écrit cela en 1945. à la fin de la guerre, au contraire, il consacre de nombreuses pages (indispensables) dans Critiques au livre de David Rousset.
Bref, tout ça pour dire que je ne cautionne pas tous les propos des auteurs que j’admire ;-)
allez, j’arrête là, j’étais venu sur le blog pour écrire un billet de colère sur la visite de l’autre abruti à l’autre salopard (les mots sont interchangeables)